Celui que j'appelle Nicolas Cherkassky dans le roman était un ami de mes parents. Il venait dîner à
la maison, n'arrivait jamais les mains vides et avait toujours quelque chose d'amusant à raconter.
Dans les conversations familiales, son nom s'accompagnait d'évocations sinistres. Prison. Goulag.
Trahisons. Désespoir. Des choses inimaginables pour l'enfant que j'étais. Mais son histoire a croisé
la nôtre. En tout cas, celle de mon père.
23 octobre1981, Moscou. Echappé du goulag, poursuivi par le KGB, Nicolas franchit les portes de
l'Ambassade de France à bord d'une R5 conduite par mon père. Il est sauvé. Cela fait 37 ans qu'il
attend ce moment.
La dernière fois que nous sommes allés lui rendre visite, dans la Drôme, en août 2010, il a dit : "Je n'ai pas 82 ans. J'en ai 45. Il faut retrancher ces 37 ans de ma vie".
L'affaire Cherkassky a été écrit en hommage à Nicolas. A sa détermination, à son courage, à son désir de vivre.
J'ai inventé la trame narrative du récit, mais pas l'histoire centrale : Nicolas était déjà
un personnage de roman.
Mais ce personnage avait sa part d'ombre. Mon père me dit un jour, il n'y a pas si longtemps :
"Nicolas est mon ami. Mais, dans le fond, je ne sais pas qui il est".
Cette révélation fut pour moi une immense surprise. J'avais déjà commencé à travailler sur mon manuscrit, mais je devais y aménager un espace où interroger ce mystère, cette part d'opacité que plusieurs décennies d'une amitié bien réelle ne permirent jamais de dissiper.
Nicolas est décédé au printemps 2015. Papa l'a suivi en janvier 2017, alors que j'écrivais ce livre. Ils ont emporté avec eux un morceau de l'histoire de la Guerre Froide.
Je remercie sincèrement Jacqueline C., sans qui ce livre n'aurait pas vu le jour.
Tous droits réservés | Aurélie Ramadier